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J’écris comme je rêve, paisiblement. Avec aussi peu de cohérence dans mes dires. Je ne sais pourquoi, aujourd’hui, c’est de ma grand-mère que j’ai envie de parler.
Ma grand-mère était une petite femme, moins d’un mètre soixante certainement, plutôt boulotte et ronde, des cheveux jaune-blanc toujours tirés en arrière, ignorant absolument toute coquetterie, la plupart du temps revêtue d’un tablier comme en portaient à cette époque les femme de la campagne. Dans la maison, l’hiver, sa position favorite était, assise devant la grande cuisinière, les pieds chaussé de ses charentaises posés sur la barre du four, émettant aisni parfois une odeur de caoutchouc chaud, et somnolant ou lisant, presque d’un bout à l’autre le quotidien local dans lequel il n’y avait rien à lire. L’été, elle se mettait sur le balcon pour accomplir la même tâche, regardant les passants, échangeant quelques paroles avec certains d’entre eux. La vie pour elle était un grand repos. Je savais qu’elle avait été institutrice durant la première guerre mondiale, qu’elle avait eu trois enfants ce qui l’autorisait à définitivement ne rien faire et chasser son mari du lit conjugal. Pourtant, elle était pour mon frère et moi, un pilier. Nous savions qu’elle serait toujours prête à nous écouter, à nous consoler si nécessaire et, certainement, s’il l’avait fallu, à nous protéger. De nous deux, son préféré, était mon frère car il était beaucoup plus doux que moi, ne se révoltait que rarement et débordait de gentillesse. Elle avait tenu, je devais avoir six ou sept ans, à faire tirer de nous deux une photo colorée « d’artiste » comme on en faisait alors. Grande photo dans un cadre ovale en bois doré que je possède encore. Une dépense importante. Pour cela, elle nous avait acheté une tenue commune : des chemisettes d’été à carreaux vert émeraude tendre et blanc et une salopette dont sur la photo on n’aperçoit que les bretelles. Le regard dur et braqué comme en défi vers un horizon invisible, un bras protecteur sur l’épaule de mon frère, j’affirme mon statut d’aîné tandis que lui, regard doux, affectueux et tendre semble totalement se soumettre. Je crois vraiment que c’est ainsi que notre grand-mère nous voyait : j’étais pour elle, un temps investie de l’autorité de l’institutrice, celui qui, trop bon élève, devait assurer l’avenir alors que mon frère aurait besoin d’être protégé. Certains destins s’esquissent ainsi dès l’enfance. Autant mon grand père était habile de ses mains, autant il avait besoin d’une forme d’expression artistique qu’il manifestait au travers de ses tentatives de peinture ou de musique avec son pipeau dérisoire, autant ma grand-mère était passive et semblait ne s’intéresser à rien excepté nous. Je ne l’ai jamais vu, du moins c’est ainsi que la retrouve mon souvenir, faire grand chose de ses mains, elle ne cuisinait jamais, tâche entièrement dévolue au grand-père, ne s’occupait pas plus du jardin, faisait faire son ménage et sa lessive par une femme du voisinage (Ah l’odeur de la lessive chaude dans la cuisine que cette femme venait chercher avec une brouette pour la porter au lavoir !…). Cette petite occupation de gestionnaire et le fait qu’elle gérait aussi la pauvre économie du ménage ne laissant à mon grand-père que ce qu’il lui fallait pour la pêche et ses quelques sorties au bistro, lui suffisait pour se considérer comme la chef de la famille. Il est vrai aussi que j’ai vu plusieurs fois, le soir, mes oncles le ramener ivre à la maison et qu’il était peut-être nécessaire de restreindre ses dépenses. On n’en parlait pas. C’était ainsi, le grand-père parfois buvait trop avec ses copains de guerre et il n’était nul besoin de dramatiser. Sa seule activité physique dont je me souvienne était de nous laver dans une bassine de zinc tant que nous l’avons accepté. Il y en avait certainement d’autres. J’ai oublié. Je ne la vois que passive.
Pourtant elle était, pour nous, indispensable. Elle était là, elle était toujours là et sa présence était tout amour. Elle ne nous parlait pas beaucoup, nous disait rarement des mots de tendresse, distribuait de ci de là quelque bonbon, raccommodait nos pulls ou nos fonds de culotte, peu de choses, mais elle était là et cela nous suffisait.
Dans le monde plutôt masculin où nous vivions, elle était « La » mère, le cœur battant de la famille et son autorité, car si elle en avait une, elle tenait beaucoup plus de l’envie que nous avions de lui faire plaisir, de la voir sourire que de la contrarier en quelque manière que ce soit. C’était l’image vivante de la douceur tranquille, le grillon du foyer dont le chant rassure.
Très gourmande son grand plaisir était, le dimanche, pour la famille, des gâteaux à la pâtisserie de la rue. Ses préférés étaient les religieuses au chocolat. Quand elle mourut du diabète j’avais vingt huit ans. Je travaillais alors à l’étranger. Mon grand regret est toujours de ne pas avoir été là dans les moments difficiles pour elle et de n’être même pas venu à son enterrement.

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