49
Dans ce mas mis à notre disposition et qui nous paraissait le summum du luxe, les trois premiers jours furent réservés aux explorations. Pas de l’intérieur du bâtiment car notre grand mère veillait soigneusement à ce que nous ne pénétrions pas dans les quelques dix pièces qui n’avaient pas été explicitement mises à notre disposition. Aussi nous n’y avons pas consacré beaucoup de temps. Ce qui nous occupa davantage, le premier jour, ce fut l’extérieur immédiat, le jardin qui nous paraissait assez grand mais dont le seul intérêt fut pour nous de grimper sur les figuiers qui nous paraissaient gigantesques et de réussir à en repérer puis à capturer quelques cigales. Mais lorsque nous avons exprimé le projet d’y construire une cabane en hauteur, la réponse de mon grand-père fut sans équivoque : « Non… attendez le week-end, nous demanderons à notre nièce ce qu’elle en pense ». Nous avons donc compris que nous étions sous contrôle et que notre terrain d’action était des plus limités. Le second jour la grand-mère dit qu’il lui fallait aller au village, à une dizaine de kilomètres du mas, pour faire des provisions et, de peur que « nous fassions des bêtises », elle exigea que nous allions avec eux. C’était un petit village méridional sans charme particulier avec une épicerie, une boucherie, une boulangerie, une église et un bistrot tous groupés autour d’une place centrale. Mon grand-père alla tout de suite au bistrot « pour attendre que les courses soient finies » et il ne nous resta plus qu’à tourner autour de la place sur laquelle une vingtaine de garçons jouaient au foot en s’interpelant avec un fort accent qui n’était pas le nôtre. Nous n’avons même pas tenté de nous intégrer sachant, par expérience que ce serait un échec et que, de toutes façons, nous résidions trop loin pour qu’une éventuelle réussite nous permette une intégration durable. Assis sur la margelle ronde d’une fontaine qui occupait un côté de la place, résignés, nous avons regardé leurs jeux regrettant notre propre bande. Nous n’avions rien à faire là. Aussi quand notre grand-mère donna le signal du rappel, nous sommes revenus au mas sans vrai regret. Le régisseur avait proposé de nous faire visiter le chai, ce que nous avons fait en famille, mais outre l’odeur peu agréable pour nous de mauvais vin, cet alignement d’énormes tonneaux ne nous intriguait ni ne nous intéressait en rien. Notre grand-mère, toujours institutrice au fond d’elle-même bien qu’elle ait abandonné cette profession depuis plus de trente ans, posait quelques questions techniques ; mon grand-père ne se faisait pas prier pour faire une petite dégustation et nous, nous nous ennuyons ferme d’autant que le régisseur dit qu’il avait deux enfants, deux garçons mais que l’aîné avait vingt et un ans et le cadet dix-neuf. Il n’y avait donc rien à espérer de ce côté là non plus : nous étions condamnés à rester entre nous aussi longtemps que durerait notre séjour et ça, ce n’était pas dans nos habitudes.
Le troisième jour, hors du mas, nous avions champ libre comme d’habitude. Et nous sommes partis en exploration dans la campagne pour découvrir un paysage désespérant, à perte de vue, des alignements méticuleux de pieds de vigne sans rien qui rompe sa monotonie effrayante. Il y avait bien au loin, quelque chose qui ressemblait à un bosquet où, après plus d’une heure de marche torse nu sous un soleil écrasant qui pesait sur notre tête et nos épaules nous sommes parvenus à ce qui semblait un ruisseau minuscule entièrement fermé de roseaux. À notre grand déplaisir, il était très étroit et trop peu profond pour qu’on puisse s’y baigner. De plus, il semblait mort car, l’ayant longé sur quelques centaines de mètres, nous n’y avons trouvé aucun poisson, aucune grenouille, aucune couleuvre. Seuls quelques tristes araignées d’eau ramaient par à coups à sa surface et de grosses libellules bleus vrombissaient d’une herbe à l’autre. Pas vraiment de quoi nous occuper car nous connaissions déjà bien cette faune qui faisait partie de toutes nos journées d’été depuis que nous étions en âge d’aller seuls dans la campagne. Nous avons coupé quelques roseaux pour en faire des javelots mais, faute d’adversaires, cette activité ne nous excitait pas beaucoup. Nous en avons quand même rapportés quelques uns au mas dans l’espoir d’en faire quelque chose et, en effet, notre grand-père nous montra comment y tailler des flûtes rudimentaires mais nos capacités musicales étant quasi nulles, ce ne fut pas non plus un grand motif d’occupation. Le soir la peau de notre dos et de nos épaules était très chaude et un peu douloureuse. Nos grands-parents nous ont fait la leçon, nous disant qu’il ne fallait, ici, pas aller torse nu et sans chapeau dans la campagne, et que nous avions attrapé un coup de soleil. Après l’expérience des moustiques, nous avons pensé que ce pays était trop violent, agressif et qu’il ne n’était pas vraiment fait pour nous. Le soir, nous avons mangé sur la terrasse où mon grand père fit brûler une espèce de tortillon verdâtre censé nous protéger des myriades de moustiques qui tournaient dans le jardin attendant qu’apparaissent les chauve-souris qui, paraît-il, les chassaient. Sans amis à rejoindre comme à notre habitude, ne sachant que faire, nous sommes allés nous coucher assez tôt. Heureusement j’avais emporté des livres et des bande dessinées et, depuis que nous avions appris qu’il fallait tirer les moustiquaires qui occupaient les fenêtres, nous étions moins leur proie même si, le matin, nous avions toujours deux ou trois piqûres sur une partie quelconque du corps.
Mon grand-père disant qu’il avait assez conduit pour arriver jusque là, la mer, malgré nos demandes insistantes, était toujours une option hypothétique.
Commentaires
Enregistrer un commentaire