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C’était autour de 1950, j’avais alors 8 ou 9 ans et mon frère cadet, qui me suivait partout et me servait trop souvent de cobaye, en avait alors 6 ou 7. Notre père avait été tué à la fin de la deuxième guerre mondiale dans des circonstances peu claires et que je n’ai jamais, malgré mes recherches, réussi à comprendre. Notre mère, veuve et mère trop jeune, avait totalement délégué le soin de notre éducation à nos grand parents maternels chez qui nous vivions étant interdits d’intrusion dans l’appartement maternel. Ils étaient adorables et nous adoraient, mais ils étaient aussi trop pauvres et trop âgés pour nous inculquer une réelle éducation. Le grand-père ne s’occupait de nous que pour nous apprendre la nature autour de ses piliers favoris : pêche, chasse, braconnage, jardinage. Pour les reste nous étions libres comme l’air et si on nous menaçait parfois du fouet, celui-ci faisait en fait peu d’usage. Notre mère, que nous ne voyons que de loin en loin, ne s’intéressait, parfois, très épisodiquement, à nous que pour la montre car nous étions, ce que confirme les photos que j’ai conservées de cette époque, de très mignons bambins et elle éprouvait toujours un plaisir assez grand lorsque qui que ce soit, s’exclamait, ou faisait semblant de, sur l’aspect physique de ses enfants ce qui agaçait plutôt mon frère et moi et nous amenait invariablement à faire des grimaces, des pitreries et des bêtises diverses pour arrêter immédiatement ces compliments. Cependant, nous n’étions pas tout à fait le modèle esthétique qu’elle rêvait pour sa progéniture : nos cheveux étaient bruns, plutôt raide, plein d’épis et donc presque impossible à coiffer. J’ignore d’où lui venait ce fantasme, mais elle nous aurait voulu en angelots blonds et frisés. Un jour elle nous amena chez le meilleur coiffeur de la petite ville, ce qui, vus ses revenus, devait être un vrai sacrifice financier, pour nous faire friser et teindre en blonds. Nous eûmes beau protester violemment, rien n’y fit. Et pour nous ce fut un vrai désastre car tous nos copains de la rue (les enfants, à cette époque, vivaient pour l’essentiel dans les rues) se moquèrent de nous avec cette créativité langagière que nourrit la spontanéité enfantine. Notre réputation de « petits durs » difficilement acquise dans de multiples bagarres ou exploits divers ne pouvait supporter cette dégradation. Il fallait réagir.
L’appartement de nos grands parents était au premier étage d’une vaste bâtisse à cinq étages qui, si l’on en jugeait par les restes, avait dû être aristocratique même si, à cette époque, elle s’apparentait davantage à un taudis. Son dernier étage était constitué d’un immense grenier compartimenté de cloisons de planche de façon à ce que chaque locataire eut le sien propre mais peu étaient fermés et ce lieu était un de nos refuges favoris car il contenait quantité de « trésors » que nous ne lassions pas d’explorer : tous les rebuts de la librairie du rez-de-chaussée, des objets divers improbables… Nous y découvrîmes même un jour une caisse de grenades allemandes et une épée gravées à l’or fin avec une devise allemande, certainement abandonnés par quelque officier allemand ayant été logé dans l’immeuble et pressé de fuir devant les troupes alliées. Ces grenades feraient l’objet d’autres souvenirs si le désir m’en prenait. Bref… revenons à nos cheveux. Il y avait aussi dans ce grenier un poêle de fonte et il y avait longtemps que j’avais caché là une petite boîte d’allumettes. Notre jeune âge était inconscient car l’ensemble du grenier ne demandait qu’à brûler mais la chance avait toujours été de notre côté car j’avais toujours réussi à limiter les flammes au poêle lui-même. Je ramassais donc divers papiers du stock de la librairie, les enflammais dans le foyer puis, quand il me sembla que les flammes étaient suffisantes, enlevai les cercles de fonte qui constituaient la partie supérieure du poêle. J’incitai — mais ces incitations étaient toujours interprétées comme des ordres — mon frère à m’imiter et penchai ma tête au-dessus du poêle : il y eut une odeur de corne brûlée mais, par chance, nos cheveux ne s’embrasèrent pas et je refermai le poêle laissant les flammes s’étouffer lentement. Je regardai mon frère, ses cheveux étaient presque totalement réduits à des espèces de minuscules tortillons vaguement roux et je supposais donc qu’il en était de même pour moi. Nous descendîmes aussitôt nous montrer aux copains ce qui renforça notre prestige compensant ainsi largement les reproches véhéments et les menaces de punition de notre grand-mère. Quant à ma mère, jamais elle ne nous conduisit plus chez un quelconque coiffeur.
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