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L’écriture parfois m’égare : il me faut revenir à ce qui était le projet initial de ces quelques écrits : laisser à mes enfants et petits enfants un témoignage sur leurs ancêtres, ne parler égoïstement que de mon enfance et tenter d’éviter toute digression.
Je reviens donc aux faits tels que ma mémoire prétend les avoir retenus.
Ce souvenir a la structure d’un rêve tant il est évident et inaccessible au souvenir construit. Une cour d’école, celle de l’école maternelle Saint Joseph. En effet dans mes textes précédents si j’ai dit Sainte Marie m’est, depuis, revenue la certitude absolue que c’était Saint Joseph. Logique, une école réservée aux garçons. Saint Joseph donc. La scène que je revois a les vérités d’une évidence.
Pas besoin de preuves ni de déductions. Il fait beau, un soleil radieux et déjà tiède, ce doit être la fin d’un printemps. Nous sommes dans la cour de récréation dont je revois la surface fermée par un portail en métal bleu ajouré surmonté d’une croix. Les trois autres côtés, des murs, dont deux en angle sont des murs de classe aux fenêtres hautes. Nous portons tous le tablier court à petits carreaux bleus et blancs boutonné depuis le haut de l’épaule gauche jusqu’au bas d’où sortent nos shorts et nos jambes nues. Comme toujours deux ou trois religieuses nous surveillent ce qui ne les empêche pas de papoter entre elles au centre de la cour. Le mur face au portail est celui des trois classes qui sont bâties sur quelque chose comme des entresols ou des caves où je ne suis jamais allé. L’accès aux classes se fait par de petits escaliers de six ou sept marches me semblent-ils sous lesquelles se présentent un vide où nous aimons nous cacher un peu à l’abri du regard de nos surveillantes. Je suis dans un de ces petits vides qui forme comme une arche de ciment au-dessus de ma tête. Je n’y suis pas seul. Avec moi un autre enfant sans visage dont je ne vois presque rien sinon le tablier. J’ai oublié son nom que je devais pourtant connaître. Je ne sais pas non plus si j’avais alors quatre, cinq ou six ans. L’âge n’est pas dans cette scène une variable possible. C’est ainsi, sans plus. De même rien ne me dit si mon frère qui était dans la même école lors de ma dernière année est là, ou pas. Cela encore n’est pas en question. Je joue avec mon camarade, nous jouons à quelque chose avec la terre d’une petite bande non couverte de gravier qui longe le mur. C’est alors que je vois la chose qui se tortille sur la terre : un lombric, comme ceux que mon grand père et mes oncles conservent dans une boîte servir d’appât pour leur pêche. Il me paraît énorme. Il ne me fait pas peur, j’ai l’habitude. Je l’attrape, il se tord en tous sens. Je le tends à mon camarade. Alors, celui-ci, sans aucune hésitation comme si je lui avais offert un chewing gum, des bonbons, un biscuit, une part de réglisse, le prend, le regarde puis, sans hésiter un instant, l’avale. Je ne me pose pas de question. Fin de la scène. Rien d’autre. Passage au noir, ma mémoire se referme. Ne me demandez pas la suite. Il n’y en pas.
Plus étonnant encore je ne me souviens de mes trois ans dans cette école que d’une autre scène : à la fin de ma dernière année, j’approchais donc de mes six ans, j’étais à la petite cérémonie organisée par les religieuses avant la fermeture de l’école : tous les élèves sont réunis dans la salle « de spectacle » — même si je ne me souviens aucun de ces spectacles — et divers prix, ne récompensant pas les notes car dans ces petites classes il n’y en avait pas, sont remis à divers élèves sous forme d’images religieuses et de petites médailles. Mon frère qui avait alors six ans est appelé et monte sur la petite estrade, il est très fier. Moi aussi même si je n’ai aucun prix mais c’est mon frère et je pourrai toujours, au besoin, m’en glorifier. On lui attribue le prix de gentillesse : deux images religieuses et une petite médaille dorée épinglée sur son tablier. Point. Fin du souvenir.
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