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Bien sûr je n’étais pas infaillible et je me suis laissé prendre bien des fois mais j’avais aussi constaté que ma réussite scolaire — j’étais à l’école primaire où on nous classait alors — régulièrement premier ou second en tout, sauf peut-être en gymnastique et travaux manuels — me valait une indulgence presque plénière de mes maîtres car j’étais l’élève même pour lequel ils avaient été formatés, celui qui justifiait leur enseignement et leur dévouement. Aussi mes punitions se limitaient souvent à écrire un certain nombre — variable pour les fautes vénieles 50, et pour les fautes non-vénièles, 100— de lignes comme « j’écouterai attentivement en classe » ou « je ne parlerai pas à mon voisin pendant la classe ». Je me souviens même avoir fabriqué une espèce de crayon multiple, en collant ensemble quatre ou cinq, pour aller plus vite même si, au fond, ce bricolage n’avait pas le succès escompté car calculer l’inclinaison de l’ensemble pour que toutes les mines s’appliquent en même temps sur le papier était loin d’être évident. Et puis, il y avait les bon-points, ces petits rectangles de carton portant parfois une image, parfois non mais qui portaient tous la mention fiduciaire « bon point » qui nous étaient distribués généralement lorsque nous répondions à une question difficile ou que nous avions obtenu, plusieurs fois de suite, la note de dix sur dix à un travail écrit ou à un devoir à la maison. Mais, à moins qu’elle soit annoncée à l’avance par le maître, « celui qui répondra juste le premier aura un bon point… » ou autre déclaration de ce type, leur attribution relevait souvent de l’arbitraire car sinon nous aurions été deux ou trois garçons à nous les attribuer et la grande majorité des autres n’en auraient jamais obtenu. Le maître en jouait donc assez arbitrairement selon qu’il souhaitait encourager tel ou tel élève, leur proposant et leur réservant des exercices adaptés à leurs aptitudes. Pour le reste, ces bon-points s’ils étaient un motif de satisfaction familiale qui, chez moi, pouvait parfois se monnayer en bonbons, n’avaient pas grande utilité : tant de bon-points permettait d’obtenir une plus grande image et ça n’allait guère plus loin. Le plus intéressant était qu’ils pouvaient parfois, selon le bon vouloir du maître, fonctionner comme des indulgences permettant de racheter tout ou partie d’une punition comme réduire le nombre de lignes à copier. Pour nous interdire de les échanger entre nous, il tenait par ailleurs leur compte sur un cahier spécial. Autant dire que leur valeur pédagogique était quasi-nulle et ne décourageait ni n’encourageait vraiment mais ça faisait partie du jeu et de ce hors-monde que constituait l’école car, ailleurs, dans la vraie vie, tout, entre nous, s’échangeait avec des valeurs fixes dont nous ne connaissions pas l’origine mais que noud acceptions tous. Les billes de terre, de verre ou de métal qui étaient le matériel de base pour nos jeux dans la cour de récréations avaient ainsi chacune leur valeur mais pouvaient faire aussi le motif de longs marchandages le fils du garagiste étant privilégié car il avait à partir des roulements à billes jetés par son père quelque chose comme une mine de billes en métal, celles qui étaient tout en haut de la hiérarchie. Les plus complexes étaient les billes de verre, leur valeur dépendant non seulement de leur taille mais aussi, suivant un barème établi et non discuté suivant la forme et la couleur des spirales de pâte de verre qu’elles contenaient. Mais passons car je ne me souviens plus de ces barèmes et j’ai constaté chez mes petits enfants notamment que cela se poursuit avec les billes mais aussi, comme pour nous, avec des cartes de jeux variés, mais l’esprit commercial ayant tout gangrené ce sont maintenant les fabricants de jeux qui gagnent beaucoup d’argent en vendant cher ces différences. Nous avions aussi des cartes, nous avions aussi des albums à remplir mais la plupart étaient gratuites étant contenues dans les emballages de chocolat Poulain ou Meunier qui distribuaient gratuitement les albums et il ne serait venu à l’idée d’aucun parent d’acheter un nombre déraisonnable de tablettes de chocolat pour fournir leurs enfants en images. Aujourd’hui, comme je l’a vécu, les enfants se font acheter des pochettes aveugles d’image et cette pratique n’a plus la limité de l’indigestion. Il ya avait, aussi, les buvard instruments de collection, pratique disparue avec les instruments modernes d’écriture, puis plus tard, au lycée l’échange, la « vente », la location ou le don d’images plus érotiques. Une revue, surtout, était très apprécié et se monnayait d’autant mieux qu’aucun de nous n’aurait pu l’acheter chez le marchand de journaux qui nous l’aurait refusée. Elle s’intitulait Paris-Hollywood et présentant des femmes un peu dénudées paraitrait bien sage aujourd’hui. À cette époque, la location de mon Kama-Sutra connaissait un réel succès.

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