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Chaque bande avait deux territoires : celui, naturel, incontesté, du pâté de maison où vivaient les parents, et celui sauvage du pan de montagne qu’elle s’était attribuée car la ville s’était bâtie dans une vallée encaissée avec plus de 300 mètres de dénivelé entre la rivière et les plateaux qui la dominaient, calcaires au sud, granitiques au nord. Le versant sud, seul, très boisé, rocheux, était celui que nous nous disputions car le versant nord, ensoleillé, beaucoup moins rocheux était largement occupé par des maisons et villas que, d’un commun accord, nous considérions comme bourgeoises et où aucun de nous ne vivait. Le territoire de la bande qui m’avait accueilli et que nous défendions âprement contre toute tentative d’annexion, était situé autour d’une source appelée la fontaine du renard, appellation dont l’origine, sûrement ancienne, nous était inconnue mais dont la référence à une bête sauvage et réputée rusée nous convenait à merveille. Cette source, au flot peu abondant quoique régulier, surgissait au pied d’une falaise d’une vingtaine de mètres et était entourée de rochers escapes, haut de dix à vingt mètres et ne se découvrait qu’après une assez longue marche sur un sentier sans aucun entretien. Toutes circonstances qui faisaient de ce lieu un fortin naturel. Nous avions construit, près de la source, une « cabane », vague enchevêtrement de branches et de feuilles sous lequel nous nous réunissions pour prendre les décisions qui s’imposaient et nous nous sentions là invulnérables.
Qui plus est, la végétation le protégeait encore car il se perdait dans des buissons épineux de houx ou d’églantiers dont les fruits, que nous n’appelions pas du nom trop savant de cynorrhodon mais plus simplement gratte-culs, désignation qui, avec son fumet de vulgarité et d’érotisme non dit, nous enchantait. De plus, à l’automne, nous cueillions ces fruits rouges et oblongs pour en charger nos sarbacanes, faites la plupart du temps de segment de roseaux récupérés sur de vielles cannes à pêche. et en faire des projectiles en complément des arcs que chacun d’entre nous confectionnait avec un soin extrême. Les plus jeunes de la bande — et s’était encore une sorte d’épreuve et d’initiation — étaient contraints d’escalader les rochers les plus hauts afin de jouer le rôle de guetteurs, alors que les plus âgés, les plus forts avaient préparé des embuscades où ils se proposaient de tomber sur d’éventuels ennemis pénétrant sur notre territoire et, si possible, de faire des prisonniers que nous attachions alors à des arbres pour leur faire subir toutes sortes de vexations. Pendant les vacances, nous passions là des après-midi entières car nos parents, si ce n’est pour les heures des repas qui devaient absolument être respectées, ne se souciaient en rien de nos actes. Et quand il y avait de petits accidents, inévitables vue la nature du terrain, égratignures, bosses diverses, pied ou poignet foulé, et même comme cela arriva une ou deux fois, fracture d’un membre, nous étions absolument solidaires pour soutenir à nos parents ou aux parents des autres enfants de la bande une version des faits compatible avec ce qu’ils étaient capables d’entendre.

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